Prévenir le décrochage scolaire

jeudi 10 mai 2012

La Prévention du décrochage scolaire en zone d’éducation prioritaire dans le premier degré

Mise en place d’un dispositif au premier degré à l’Haÿ les Roses (Val de Marne) Par, Christine Simbron (coordonnatrice REP), Liliane Chalon (IEN) et leurs équipes à l’Haÿ les Roses en 2007.

I. Origine du dispositif

1. Historique et constats

Pour comprendre le dispositif mis en place, l’enjeu qu’il représente, il est nécessaire de connaître le contexte dans lequel il est né, l’état de la réflexion qui était la nôtre au moment de sa conception et donc le cadre de références théoriques sur lequel il s’appuie.

Depuis notre arrivée sur la 22e circonscription en septembre 2003, la réussite de tous les élèves a été le fil conducteur de nombre d’actions et de la réflexion conduite. Objectif partagé par l’équipe de circonscription et par les mairies, présentes aussi dans la réflexion de plusieurs des équipes de la ZEP. Cette exigence de réussite pour tous s’est concrétisée dès la rentrée par l’organisation d’une conférence de Gérard Chauveau sur "les conditions de la réussite en ZEP" et dans l’esquisse du premier projet de circonscription élaboré en concertation avec les directeurs au cours d’un stage d’une semaine. L’objectif premier du projet de circonscription avait été ainsi formulé "développer l’accès à la pensée le plus tôt possible comme condition d’accès à la citoyenneté" et nous nous étions appuyé sur un extrait de l’ouvrage Pour une anthropologie des savoirs scolaires de Jacques Lévine et Michel Develay1.

Ce projet s’est concrétisé en 2004-2005 par la tenue de conférences co-éducatives "Lire-écrire-penser" financées avec l’aide de la DDJS. La qualité des intervenants dont les propos très complémentaires les uns des autres, Serge Boimare, Jacques Lévine, Michèle Petit et Isabelle Vinatier, alliée aux travaux du groupe ESCOL "École et savoirs en banlieue et ailleurs" réactualisés par une intervention de Stéphane Bonnery au niveau académique nous ont permis de centrer nos stages de liaison CM2/6è, non sur des contenus strictement disciplinaires mais bien sur le métier d’élève, le rapport au savoir et la méthodologie.

Parallèlement en 2005-2006, s’est mis en place un groupe de réflexion maternelle concernant l’ensemble des écoles, groupe qui poursuit son travail d’année en année. L’intervention de Susan Clot dans notre stage T1 sur le développement des compétences psychosociales et le stage de circonscription "la prévention au cœur des apprentissages de la maternelle" ont fait émerger la question de l’estime de soi comme incontournable et en lien très direct avec l’accès à la pensée, on pourrait dire dans un rapport dialectique. La conférence de Britt-Mari Barth sur l’"apprentissage de l’abstraction" alliée à la question de l’estime de soi ont guidé, cette année les trois semaines du stage T1 cycle 1.

Développer l’estime de soi et donner accès à la pensée, ont servi de fil conducteur à l’ensemble des formateurs. Les trois axes qui se dessinent pour le nouveau contrat de réussite en discussion dans le comité exécutif, sont : "l’estime de soi, l’accès à la pensée et l’acculturation". Dans un autre domaine, la ZEP s’est investie dans l’élaboration du Projet de réussite Éducative dès la sortie des textes, afin d’œuvrer à une meilleure réussite des enfants et des familles les plus en difficulté.

La réflexion conduite dans la circonscription, lors des échanges de pratiques mis en place sur les temps d’animation pédagogique et dans le groupe de réflexion maternelle (six réunions depuis la rentrée 2005), nous ont permis d’avancer sur la nécessité :

De mettre en valeur les réussites (mise en place de cahiers de réussites dans un tiers des écoles maternelles de la circonscription). De collecter les expressions qui favorisent la construction d’images mentales, celles aussi qui favorisent le droit à l’erreur et le développement de l’estime de soi Les observations en inspection, au cours des animations pédagogiques ou dans le suivi des T1 ont attiré notre attention sur :

Les compétences : on rencontre une difficulté à présenter aux élèves les compétences à acquérir et la présentation quand elle existe, porte davantage sur les connaissances, sans doute parce qu’on a encore du mal à les identifier, ce qui rend par conséquent leur évaluation difficile voire impossible. Trop souvent ce qu’on croit acquis par tous ne l’est que par une partie de la classe et les compétences acquises dans un contexte donné ou dans une discipline et qui ne sont jamais transférées, ne seront pas mobilisables à un autre moment et dans d’autres circonstances. La mise en activité des élèves : peu d’activités vraiment réflexives, les élèves sont davantage dans le faire qu’en train d’exercer leur pensée. La posture des élèves : trop d’élèves ne savent pas pourquoi ils sont là ou travaillent pour faire plaisir au maître ou à la maîtresse qui les tient à bout de bras et cette ambiguïté ou plutôt ce malentendu face au savoir est renforcé par certaines valorisations de l’enseignant qui voulant bien faire, ne rendent pas compte des erreurs, de réponses au moins en partie erronées et renforcent cette méconnaissance de ce qu’apprendre veut dire. En plus de ces remarques générales qui concernent l’ensemble de la circonscription, la situation de la ZEP s’est dégradée et l’inquiétude des directrices de la ZEP s’est accrue, surtout sur le cycle 3 en fin d’année scolaire 2005-2006. Il fallait réagir et autrement que par ce qui avait déjà été mis en place. Les inquiétudes concernaient des élèves en échec, avec des problèmes de comportement que toutes les stratégies habituelles des équipes n’arrivaient pas à régler, comportements que nous avions qualifiés de "pré-décrochage" et pour lesquels une crainte forte de décrochage au collège était énoncée. Il nous a semblé nécessaire d’inventer un nouveau dispositif, inexistant à l’heure actuelle à notre connaissance dans le premier degré. Ce dispositif s’est inspiré de l’existant en collège, a tenu compte de l’échec d’un essai de classe relais pour le premier degré en Seine St Denis et s’est appuyé surtout pour en construire le sens sur les études et élaborations théoriques des chercheurs précédemment cités.

2. Appuis théoriques

Ce qui suit ne prétend absolument pas faire un état des travaux des chercheurs concernés, ni même les esquisser mais correspond simplement aux éléments dont nous nous sommes saisis pour élaborer ce dispositif.

Gérard Chauveau

Tous les élèves peuvent réussir et sont capables de progrès. Il y a des ZEP qui réussissent et d’autres non, et dans cette réussite les écoles sont parties prenante. Les enseignants et les équipes ne sont pas impuissants et ont leur rôle à jouer. Même s’ils ne peuvent pas tout, ils ont plus de possibilités qu’ils ne l’imaginent. Serge Boimare

Nous a interrogé sur les blessures narcissiques d’enfants en échec scolaire, blessures masquées par des carapaces de gros durs qui cachent leurs fragilités, les aident à tenir debout et les empêchent de penser. Pour ces enfants, on ne peut pas tout, mais on peut les aider à passer outre leurs défenses, les faire accéder à la pensée en utilisant des médiations, les mythes par exemple.

Britt Mari Barth

Nous a aidé à comprendre la construction progressive du savoir, le comment conceptualiser et aider les enfants à conceptualiser et à faire du lien, à l’aide de supports tels que les œuvres d’art, qui peuvent paraître au premier abord, hors du champ de la pensée.

Michèle Petit

Les livres, les récits ne sont pas exclusivement des supports d’apprentissage, ils sont aussi une aide indispensable pour certains à la construction identitaire. L’entrée dans la culture littéraire, dans l’imaginaire permis par de beaux textes peut littéralement sauver des jeunes de l’isolement, de l’exclusion. Elle a pointé aussi pour nous le rôle fondamental des partenaires extérieurs à l’école que sont les bibliothèques ou certaines associations (voir Lire et faire lire)

Isabelle Vinatier

Est venue de l’université de Nantes nous faire partager sa réflexion et son expérience concernant la relation d’aide, et les pièges que les élèves nous tendent. Les stratégies qu’ils mettent avec habileté en place pour éviter de penser, qui font céder l’adulte, le conduisent à faire à la place de l’élève alors même qu’il croit l’aider.

Annick Davisse

(Qui n’a pas été citée précédemment) est venue faire une conférence à la mairie de L’Haÿ les Roses sur les relations filles / garçons. Elle a mis en évidence le regard différent que nous portons, nous adultes, sur les élèves, leurs comportements, leurs performances selon qu’ils sont filles ou garçons. Elle a mis en évidence aussi les plus grandes difficultés des garçons, ce que nous pouvons vérifier dans la mise en place du dispositif. Même s’il est difficile de contrôler nos représentations et nos affects, il est important que nous soyons conscients de la dimension sexuée des apprentissages et de la réussite et de l’échec.

Jacques Lévine

Au-delà du fait que la pensée de Jacques Lévine accompagne et sous-tend notre travail depuis une dizaine d’années, il nous a fait comprendre la nécessité que pour que chaque enfant grandisse psychologiquement dans de bonnes conditions il doit y avoir un accompagnant interne. Certains de nos élèves n’ont pas eu cet accompagnant interne, ou bien les accidents de leur courte vie ont laissé en eux une partie accidentée qui souvent est la seule visible. A nous de reconnaître leur souffrance, mais aussi d’être capables de trouver ou de retrouver derrière ce masque, ce qui reste de vivant, d’intact, de positif, sur lequel s’appuyer pour les aider à construire. Il nous a aidé aussi à comprendre combien il est important pour chaque enfant d’être inscrit dans une filiation, familiale mais aussi sociale. Chacun de nos élèves est un petit bout de l’humanité et qui comme tel est un être de pensée qui se pose les questions que chacun s’est posé au cours des temps, d’où l’importance de la mise en place des ateliers de philosophie. En plus de tous ceux qui ont pu et bien voulu intervenir dans notre circonscription, nous ne pouvons pas ne pas évoquer certains travaux sans lesquels notre expérimentation n’aurait pu avoir lieu, il s’agit bien évidemment de tous les écrits du groupe ESCOL, des écrits de Michel Develay et de ceux de Philippe Meirieu. Ces travaux nous ont permis d’une part, d’interroger l’articulation entre l’acquisition des savoirs et l’apprentissage de la loi, l’un n’allant pas sans l’autre. D’où la nécessité pour nous de poser un cadre rigoureux à expliciter aux élèves. D’autre part de questionner le métier d’élève, leur posture par rapport aux apprentissages mais aussi tous les malentendus que l’école contribue à entretenir entre les élèves et l’école quant au savoir et à son appropriation. En dernier lieu nous avons retenu que le groupe et les interactions dans le groupe aident à la réflexion et contribuent à la construction des savoirs. La réflexion à l’œuvre lorsque nous avons réfléchi le dispositif a été réactivée par le remarquable ouvrage collectif sous la direction d’Elisabeth Bautier "Apprendre l’école apprendre à l’école".

Bibliographie

  • Pour une anthropologie des savoirs scolaires -ESF- M. Develay, J. Lévine
  • Donner du sens à l’école – ESF- M. Develay
  • Construire ses savoirs, construire sa citoyenneté – Chronique sociale - GFEN, préface d’ A. Jacquard
  • A l’école des banlieues – ESF - G.Chauveau et E.Rogovas Chauveau
  • École et savoirs en banlieues et ailleurs – ESF - collectif ESCOL
  • Apprendre l’école apprendre à l’école – Chronique sociale - collectif sous la direction d’E. Bautier
  • Éloge de la lecture – Michèle Petit
  • Le savoir en construction et l’apprentissage de l’abstraction - Retz - Britt Mari Barth

II. Le dispositif

1. Constats et piste de projet

Sur les deux groupes scolaires de la ZEP, certains élèves par leur comportement déstabilisent l’enseignant, rendent difficile la vie de classe ainsi que les apprentissages scolaires. Ces élèves qui peuvent être reconnus comme ayant certaines qualités sont dits "imprévisibles, violents dans les mots ou dans les gestes", leur utilisation de compas, ciseaux, détournés de leur usage premier fait craindre pour la sécurité des autres enfants. La répétition de ces comportements déteints sur certains élèves qui se risquent à des conduites qu’ils n’auraient pas eu autrement, détériore l’atmosphère de la classe, crée de la tension tant chez le maître que dans le groupe classe.

D’autres, sans se manifester par des comportements explosifs, décrochent du travail scolaire et inquiètent eux aussi les enseignants. Les collègues qui n’arrivent plus à gérer à l’interne de la classe, se sentent parfois réduits à une pédagogie frontale pour mieux canaliser les débordements, s’organisent pour trouver des solutions autres. La solution massivement adoptée par les collègues est de sortir ces élèves de la classe un temps avec un travail qui s’accomplit chez le directeur ou dans une autre classe, mais les équipes ont bien conscience que la réponse n’est que ponctuelle et s’interrogent sur l’efficacité et la pertinence de ces stratégies d’évitement. Les deux réunions de bilan sue le REP et sur le PRE du 2 juin 2006 ont permis un échange sur l’expérience tentée par le collège Chevreul pour résoudre ses problèmes de décrochage à l’aide de modules de remobilisation et de l’atelier relais. L’appréciation positive portée sur les modules de remobilisation qui organisent la prise en charge des élèves à problèmes, en les retirant de leurs classes une journée par semaine, avec un travail approprié nous conduit à envisager une solution de même type pour le premier degré.

Nous avons mis en lien nos appuis théoriques (apport des différentes conférences qui ont eu lieu sur la circonscription) et les études récentes sur les "décrocheurs" et "’les élèves en grande difficulté scolaire" et nous avons fait l’hypothèse que des malentendus existent entre l’enfant, l’enfant devenu élève et l’école dans les zones où les populations sont les plus fragiles et qu’il nous fallait comprendre et lever ces malentendus.

Malentendus qui se manifestent au niveau du langage, lieu d’élaboration du sujet, à la fois social, subjectif et cognitif : devant une exigence de changements de pratiques langagières ces jeunes ont l’impression d’avoir à changer d’identité.

Dans la confusion fréquente entre difficulté d’apprentissage et problème de comportement.

Dans l’évaluation du travail scolaire : l’évaluation du savoir est souvent confondue avec celle des comportements et de la personne. Trop souvent l’enseignant voire l’institution entretiennent la confusion ou l’ambiguïté, il y a donc nécessité de clarifier, pour ces élèves, les attentes de l’institution qui ne sont pas négation de leur identité, de leurs besoins et attentes personnelles.

Le projet, élaboré conjointement par les directeurs de la ZEP, les psychologues scolaires, la coordonnatrice ZEP et l’IEN a permis  :

  • D’adopter une démarche semblable sur les quatre écoles du Réseau de Réussite Educative.
  • Avoir une journée par semaine sur une durée préétablie, dans des lieux à définir, pour un groupe d’élèves, toutes classes confondues du cycle III, un temps de remobilisation.

Objectifs pour les élèves

  • Se remobiliser par rapport aux savoirs
  • S’impliquer dans son parcours scolaire
  • Verbaliser (argumenter, justifier, émettre un point de vue, un jugement dans le respect des différences voire des divergences des autres membres du groupe)
  • Mener un projet à bien dans la double dimension individuelle et collective
  • S’organiser

Objectifs pour des enseignants

  • Soutenir les équipes
  • Créer des moments d’échanges de points de vue et de pratiques
  • Mobiliser et accroître les capacités à identifier et analyser les facteurs et éléments de ‘’blocages’’
  • Construire éventuellement des outils de régulation pour la classe
  • En direction de la classe
  • Avoir un impact sur la dynamique du groupe classe

Secteur et population concernée

Ecoles de la ZEP : Jardin Parisien A, Jardin Parisien B, Lallier A, Lallier B Cycle III Mélange de classes et de niveaux Groupe de 6 élèves


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